La fixation Kandahar

 La Kandahar a été un progrès décisif dans l’efficacité des fixations et elle a largement dominé le marché depuis le milieu des années 30 jusqu’aux années 50 et, paraît-il, elle aurait été la fixation la plus vendue au monde ? 

Mais il y a eu plusieurs versions, dérivés, copies etc…: nous allons essayer de clarifier (un peu) !

   

Le contexte fin des années 20 – début des années 30

Cette période voit se répandre, peu à peu, l’usage de techniques ‘modernes’ de virage (christiania etc…), virages grandement facilités si le talon ne se lève pas.

Cependant, les remontées mécaniques n’existaient pratiquement pas et donc, avant de descendre, un skieur devait d’abord monter : donc il fallait que la fixation permette à la fois de lever le talon pour monter et de le fixer pour descendre ; c’est ce qui a été apporté par le bridage “parallèle / diagonal“ qui devient alors, à la mode (voir l’article §2-Talon fixable).

 Mais les brides en cuir utilisées ne sont pas suffisamment résistantes pour garder longtemps leur efficacité sous la forte tension nécessaire à un maintien correct du talon.

Origine du nom :

Par quel mystère, une ville du Sud de l’Afghanistan (qui n’a sûrement jamais vu de neige) a-t-elle donné son nom à une fixation suisse ? C’est une histoire ‘à tiroirs’ :

- À la fin du 19ème siècle, l’armée britannique ‘soumet’ l’Afghanistan grâce à la prise de la ville de Kandahar. L’officier qui commandait le corps expéditionnaire est alors anobli par la reine et s’appelle dorénavant “Lord Roberts of Kandahar“.

- En 1903, il devient vice-président de l’Alpine Sports Club. En 1911, un agent de voyage anglais (Henry Lunn) organise en son hommage, à Crans-Montana, une course de descente à ski : le ‘’Challenge Roberts of Kandahar’’.

- Lord Roberts meurt en 1914. Le fils d’Henry (Sir Arnold Lunn) fonde alors en 1924 le 'Kandahar Ski Club' et reprend l’organisation du challenge ; le premier, en 1928, se court en Autriche à Saint Anton et est alors devenue célèbre sous le nom d’Arlberg-Kandahar. Ce Kandahar continue à se courir annuellement dans toute l’Europe (exemple en 2023, aux Houches). 

Donc Guido Reuge a utilisé la célébrité du nom et, il est probable qu’il l’ait fait protéger.

Histoire de la fixation :

La fix. Kandahar est née dans le Jura suisse, à Sainte Croix, qui abrite (entre autres) le fabriquant d’horlogerie Henry REUGE (montres avec boîte à musique incluse).

Un de ses fils, Guido, skieur-compétiteur est ingénieur en mécanique : il crée en 1927 un prototype de fixation à câble qu’il fait breveter en 1933.

Il faut signaler que, contrairement à ce qu’on peut lire souvent, ce n’est pas lui qui a 'inventé' la fixation à câble : (cf annexes). Les Kandahar seront toujours produites à Ste Croix. 

Dans les années 40 (±1947) Attenhofer rachète la marque ; Reuge ne se consacre alors plus qu’à ses boîtes à musique dont elle était (et est toujours) le 1^er producteur mondial.

Attenhofer augmente le nombre de modèles et de variantes mais le trio câble/étrier/tendeur sera toujours leur dénominateur commun et les Kandahar resteront ainsi sur le marché, jusqu’à la fin des années 50. La marque ‘Kandahar’, restée au sein de la société “AKA“ (Attenhoffer-Kandahar-Allais), produira ensuite des fixations modernes.

On remarquera qu’après 1947, tous les brevets ont quand même été pris par Reuge, alors que c’était Attenhofer qui était aux commandes !

Il y a eu (déjà avant-guerre) plusieurs fabricants licenciés puis, après-guerre, de très nombreuses autres fixations, souvent ± copiées (la protection des brevets Reuge était sûrement tombée).

Les “vraies“ Kandahar

La “A“ classique (la + répandue, la 'vraie').

- Sa genèse :

 Nous avons examiné les 3 brevets Reuge initiaux : 

• Le 1^er, déposé en 1932°, ne montre pas la fixation telle que nous la connaissons (levier tendeur mono-bloc et implantation des taquets du câble).

• Le 2^ème déposé aussi en 32, n’a pas de câble, mais deux implantations de la fixation des brides cuir (parallèle
/ diagonale).

• Le 3^ème, déposé en 1933, montre un tendeur/crémaillère et le trajet du câble, différents de ceux du 1er brevet : c’est exactement la fixation qui sera dorénavant produite et doit donc être considéré comme LE vrai brevet de la Kandahar.

Nous appellerons “A“ ce 1^er modèle  afin de le distinguer de ceux qui vont suivre et aussi parce le nom ‘commercial’ n’est pas bien défini car nous trouvons soit “Alpha“, soit “Standard“.

°) Ce brevet montrait aussi une autre fixation assez différente (cf ci-après).

- Étude de la “A“ (Alpha, Standard ?) :

  

Il s’agit du modèle le plus répandu et que nous considérerons comme LA vraie Kandahar ; les dénominations sont d’ailleurs assez confuses, variant au cours du temps ou du pays d’exportation, aussi garderons nous le sigle “A“.

Elle a été produite à partir de 1933 jusqu’à la fin des années 50 avec, apparemment, très peu de modifications. Elle serait, paraît-il, la fixation qui a été la plus fabriquée au monde.

On remarquera :

-       Les 6 vis caractéristiques de l’étrier.

-       Le levier tendeur bien séparé de la crémaillère de réglage.

-       Le passage montée / descente (parallèle / diagonal) par déplacement du câble dans les ergots.

-       La lanière d’orteils encore présente. 

• D’après une pub de 1935, il y avait 2 modèles ALPHA 

-       la SUPER à tendeur AV (la “A“ classique donc)

-       la TOURING à tendeur AR.

• D’après Swiss Ski Museum, ce modèle aurait été produit (quand ?) en 3 versions (‘Kandahar Standard’, ‘…Alpha et ‘…Junior’). 

• Dans un catalogue de 1949, on le retrouve, pratiquement inchangé d’aspect mais dénommé ‘Compétition’. =>

• Une de dernières apparitions d’un modèle “A“, a été trouvée dans le catalogue français Hiverna de 1959 sous le nom de “Standard“ : les taquets latéraux de l’étrier semblent avoir disparu ; le nom Kandahar a aussi disparu, mais pas sur la fixation, seulement sur le catalogue.

La “B“ (Touring)

Nous avons, faute de mieux, dénommé ainsi un 2^ème modèle qui combine 3 éléments :

-      la seconde fixation du 1^er brevet (1932). 

-      le talon présenté sur un autre brevet de 1934.

-     l’étrier du modèle “A“ standard.

- Le brevet 1 bis :

Il présente 3 grosses différences (flèches) :

° La talonnière (15) est rigide avec un tendeur à levier (15a) et ressemble donc à un talon Jordell.

° Le ressort talonnier est remplacé par 2 ressorts antérieurs symétriques.

° La crémaillère (14) est fixe avec des encoches pour recevoir la crochet (14c) du câble.

Deux autres différences secondaires : 

° Les taquets (16c) et (d) pour amplifier la position diagonale.

° La bride d’orteils remplacée par des ergots coulissants.

- Le brevet du talon :

<= C’est un ressort Bildstein avec ses brides cuir, mais le brevet Reuge porte sur un système de levier un peu différent. 

    Le résultat : la Kandahar “B“

   Connue sous le nom de ‘Kandahar Touring’ et produite à partir de 1935. Nous l’avons vue aussi sous le nom ‘Kandahar Alpha-Touring’.  Elle combine le talon Reuge, adapté au câble, avec une crémaillère avant sans levier. L’étrier est celui de la ‘A’.

L’Automatic (CH ≥1952)

Vue sur un catalogue de 1952 :  il s’agit donc sûrement d’une Kandahar Attenhofer.

L’usage ‘montagne’ est mis en avant dans la pub : présence d’un système en H sur le câble, destiné à faciliter le blocage du câble pour le passage en mode diagonal (descente).

 Le musée ‘Le Boéchet’ en présente une paire. Pas trouvé le brevet correspondant !

 

Modèles dérivés

Il s’agira d’une sélection de fixations qui utilisent toute ou partie d’un brevet Reuge.
Il pourra s’agir: … soit de fixations ± licenciées à d’autres fabricants, 

                … soit de modèles originaux ± modifiés                                        9 exemples :

1)  La fixation DR - Kandahar (F, 1935)

L’étrier est remplacé par un étrier à joues ouvrantes, assurant une sécurité en torsion.

Le circuit tendeur/câble est celui du modèle ‘A’ avec la mention “Licence…“.

C'est une des (la ?) 1ères fixations à étrier de sécurité?

Voir l'article “Étriers spéciaux" ; lien en fin d'article)

2)  La NORGA  Schuss (F, 1936)

Système de passage montée/descente réglable par levier sur la joue des étriers. Le reste semble quasi identique à la Kandahar d’origine.

 

Apparue en 1936 dans le catalogue A.Jamet : vu la date, il paraît évident qu’il y ait eu accord (licence ?) avec Reuge.

3)  La Geze Kandahar (D, fin années 30)

On trouve aussi un modèle fabriqué par Geze. Le tendeur/câble est de type ‘A’, mais l’étrier comporte 4 vis (au lieu des 6 habituelles). Existe aussi en version ‘B’.

4)  La fixation Savoy Securit (F, ≥1937)

La pub, montre une fixation apparemment identique à une Kandahar “A“ : alors où se cache la sécurité ? …il s’agit seulement d’une languette bloquée dans le tendeur.

Donc, uniquement prévue comme sécurité chute AV. Vu la date, licence Reuge très probable.

Voir l'article “Étriers spéciaux" ; lien en fin d'article)

5)  La fixation Thorens (CH, ≥1938)

C’est une ‘A’, mais le câble est remplacé par une chaîne ; elle n’alourdit presque pas l’ensemble (+80g mesuré), et la fiabilité est sans doute supérieure ? 

Brevet déposé en 1938 par la SA Thorens, à Sainte Croix : un accord avec le voisin Reuge paraît évident, d’autant que ce dernier avait déposé aussi, 1 an auparavant, un brevet avec une chaîne mais avec tendeur AR =>      

6) La BELMAG (CH, ≥1940)

Brevet US 2.216.622 -1939/40.

   Le ressort AR disparaît, remplacé par deux, jumelés sur la crémaillère AV.

Ce système à 2 ressorts va souvent être utilisé ensuite.

7) La 2^ème Attenhofer ALPINA à câble (CH, ≥1948)

Nous avons ‘en rayon’ cette fixation qui illustre bien l’évolution de la marque : il s’agit d’un dérivé de la Reuge qui est donc sûrement postérieure au rachat de la marque, c’est-à-dire après 1947.

Auparavant, Attenhofer était, depuis les années 20, le détendeur de la marque ‘ALPINA’ pour ses fixations ; elles étaient caractérisées par leur étrier classique, leur circuit en cuir avec un talon Bildstein ou Jordell et levier/tendeur latéral.

Cependant, il y a eu, sous ce nom, une fix. à câble au début des années 20 (voir Annexe 2), mais toutes les 'Alpina' (cuir ou câble) ont été rapidement surclassées par les Kandahar ; aussi, on pourrait penser que, dès qu’il a possédé cette marque, Attenhofer ait produit une copie tout en gardant le nom précédent et escamoter ainsi, le moindre succès de ses modèles (interprétation toute personnelle !).

8) La Ramy Kandahar (F, ±1953) 

Il s’agit d’une Kandahar ‘A’ licenciée à Ramy : il s’y ajoute un système avec 2 positions des 4 coulisses latérales qui guident le câble dans son trajet diagonal: elles sont montées ‘à bascule’ sur pivot ; le point d’inflexion peut être ainsi avancé/reculé de 2cm pour diminuer/augmenter la levée du talon. 

La position de montée (parallèle) est positionnée classiquement sur la coulisse de la joue de fixation.

9) L’adaptateur Nevrakta (CH, ≥1945 ?) 

Système qui se fixe sous un étrier Kanahar pour permettre son pivotement donc une sécurité latérale.

Voir l'article “Étriers spéciaux" ; lien en fin d'article)

-)Très nombreuses autres

Après la guerre, de très nombreuses fixations utilisent le système étrier/câble/tendeur avant, mais la position du ressort est variable …

• soit dédoublé sur le câble derrière le tendeur (comme la Belmag)

• soit groupée sur le tendeur avant (exemple : l’Alpina ci-après).

De même, le nom Kandahar est mis à toutes les sauces, y compris, dans les années 50, avec des butées de sécurité !          => 

 

Annexes

1)  La première fix. à câble: la SESSELY (CH - 1907) 

Brevet Jules Sessely CH 38425 de1907. Seule la talonnière est restée en cuir et permet de régler la pointure par ses 2 boucles (à ardillon) sur lesquelles se fixe le câble. L’ingénieux tendeur AV fait office de ressort.

Voir l'article “Étriers spéciaux" ; lien en fin d'article)

2)  La 1^ère Attenhofer ‘Alpina’ à câble :(CH - début années 30)

La talonnière genre ‘Bildstein’ porte un filetage qui règle la longueur du câble dont l’implantation antérieure est fixe.

Nous l’avions vue dans 2 documents légendés « fix.Kandahar 1928 » pour l'un et « … 1934 » pour l'autre; mais, finalement, nous l’avons identifiée grâce au musée du Boéchet.

Nous n'avons trouvé qu'un brevet* qui montre un système assez ressemblant mais dont le ressort de talon, carrossé, n’est pas apparent : est-ce celui mentionné sur la fixation ?? Donc cette ‘Attenhofer’ n’a sûrement rien à voir avec une ‘Kandahar’ qui lui a été postérieure (et, peut-être aussi, contemporaine ?)

*) Odermatt Zürich – DE603854 - déposé en 1932, enregistré en 1934.

3)  Tableau des brevets Reuge.

Les plus intéressants ont un lien vers Internet (soulignement) pour => l’original.

BREVETS REUGE (fixations)
Année de…		N° id	Notes
Dépôt	Enregistr.
1932	1934	CH167829	2 fixs non utilisées (= AT 141693)
1932	1934	AT137011	L'étrier réglable seul, pas de câble.
1933	1935	CH174548	La vraie Kandahar à câble
1933	1933	FR756374	Regroupe les 2 brevets “CH“ ci-dessus.
1934	1934	CH171412	talon à levier, dérivé Bildstein. Lanière
1934	1935	CH176383	idem + lanière cuir, légèrement différente
1934	1935	CH180724	Lanière cuir dans mortaise
1934	1936	CH175918	Tiges métal + lanières + ressort talon.
1935	1937	AT150028	Tendeur AR + réglage des taquets par ressort
1935	1936	CH180717	Réglages parall./diagonal
1936	1937	CH 177293	Levier différent
1936	1937	FR822452	2 fixs. règlables par coulissement des taquets  (=AT 152342)
1937	1938	CH194482	fix ressort talon
1937	1939	CH203982	Réglage parall./diagonal
1937	1938	FR823269	Fix.standard + autre avec chaîne
1938	1939	CH205924	2 systèmes de talons coulissants
1939	1940	CH210622	Plaque de talon réglable
1939	1940	CH210623	… idem '(complément)
1939	1940	CH212443	Taquets rabattables sur les joues de l'étrier
1939	1942	CH219170	Étrier réglable en largeur
1942	1947	CH243617	Coulissement de la talonnière (=US 2600688)
1943	1945	CH236406	Levier AV modifié et carrossé
1943	1945	CH237414	Embout de câble
1944	1948	CH251143	Accroche talon
1945	1947	CH245710	2 réglages d'étrier
1948	1950	CH265539	2 leviers différents

Étriers spéciaux =>

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