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La "révolution" Vicki

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Avant-guerre, un français ingénieux a été le premier en France* à faire fabriquer et surtout à commercialiser des skis en duralumin : "révolution" est bien sûr un bien grand mot bien qu'il s'agisse d'une rupture technologique majeure, sans doute la plus importante qu'aie connue la fabrications des skis ; c'était en effet, leur première production industrielle, échappant donc à la menuiserie traditionnelle et surtout, c’était la première fois que des skis étaient solides !


Nous allons essayer de « décortiquer » leur histoire avant de découvrir les skis eux-mêmes, en sachant qu'aucun d'eux ne porte le nom de son concepteur.

*)  Même certainement, une 1ère mondiale, si on admet que les Gebrac (Suisse) n'étaient que des skis bois à semelle alu. Dans les Vicki, c'est l'alu qui avait le rôle structurel principal ! 

Le contexte de l’époque (années 30)

L’absence de remontées mécaniques et de piste damées, faisait que tout skieur était obligatoirement un randonneur. 
Depuis leur origine, les skis étaient fabriqués en bois et donc, exclusivement, dans des menuiseries; leur qualité dépendait beaucoup de l'art du menuisier, du choix des bois (surtout avec le frêne traditionnel, car l'hickory était très cher).
De plus, les skis d'avant-guerre n’avaient pas encore de carres (du moins, en série); le bois de la semelle devait être goudronné avant chaque saison (imperméabilisation), puis farté à chaque sortie pour avoir une chance de glisser sans botter !
Mais le problème principal était leur fragilité :
 - rupture fréquente de la spatule 
 - usure rapide du bois en semelle et sur les angles qui tenaient lieu de carres)
 - mauvaise tenue des vis de fixation sur le bois humidifié
- déformation lors du vieillissement (vrillage, voilage, jetage, perte de cambre etc…)

L'alu permettait de palier à ces défauts et ses qualités étaient connues depuis longtemps:  c’est la guerre aérienne (14/18) qui, en en développant l’industrialisation, avait permis à la France d’être à la pointe de cette industrie, surtout après que le Duralumin ait été inventé.

L’homme et ses débuts

Félix Joseph Vicki naît (en 1899) et décède (en 1971) dans la montagne vosgienne à Bussang. Il dirige (possède ?) dans les années 30, un atelier de mécanique polyvalente dans la région parisienne (Vitry/Seine).
A Vitry, son atelier jouxte ceux de la SA Chauvière, productrice d’hélices pour «aéronefs» (bois et/ou alu). On peut légitimement penser que Vicki était en relation étroite (
sous-traitant ??) avec cette société et que c’est là qu’il aurait eu l’idée d'utiliser le mariage bois/alu pour un ski.
Il contacte Jean Matter dirigeant de la FFS et ingénieur à la Société du Duralumin français qui ne peut être qu’intéressé par le projet (assistance ?? financement ??). Des prototypes sont fabriqués (chez Chauvière sûrement) et Vicki les fait tester par les participants du ski-club lors de leurs week-ends vosgiens.
Un moniteur du Ballon d’Alsace (Ernest Grosjean), y gagne une compétition (descente) sur des skis Vicki, confortant ce dernier dans sa décision de production et de la publication du brevet (n°883.899 de 1934) qui l’a précédée de peu. 

La production des skis

Elle se fera au tout début de 1935 et, bien sûr, chez Chauvière, sous licence.
Le ski a été dénommé « Intégral-Chauvière » pour reprendre le nom de l’hélice qui équipait l’avion de Blériot lors de sa traversée de la manche en 1909. 
Apparemment, il n’a été produit que peu de temps, car en 1936 ou 37, une fabrication quasi-industrielle est lancée à St Chamond (Loire) dans les ateliers de la « Société Française du Ski » de Louis Girard.
Il est très probable que ça soit là que les skis aient pris le nom de « Ballon d’Alsace ».
Une paire est offerte à l’autrichien Hannes Schneider (inventeur de la méthode dite « stem-bogen »); une autre paire est prêtée à Frison Roche pour son expédition saharienne de 1937 (Traversée du Grand Erg Occidental).
L’accueil reçu est variable : « enthousiasme ici, obstruction ailleurs » ! (
dixit la revue « Ski Français ») et la mauvaise tenue des farts semble rédhibitoire pour certains (en effet, si l'aluminium glissait très bien dans certaines neiges, il bottait beaucoup dans d'autres !).

Dans l’hiver 36/37, un ski un peu différent est utilisé par le champion megèvan André Langlois qui l’apprécie pour les courses de descente où il fait quelques étincelles.
En 1938, ce modèle « Langlois » est produit par la « Société Française du Ski et du Canoé» (nouveau nom)
.

La déclaration de guerre en 39 interrompt la production dont les chiffres ne sont pas connus. Après la guerre, Vicki pourtant sollicité, ne relance pas, laissant ainsi la place aux américains; mais le brevet Vicki est référencé dans le brevet de leur 1er ski alu (Chance Vought Aircraft),  ski à l’origine de tous les skis métalliques qui ont suivi dans le monde.

Les skis :

• Principe de construction 

Semelle en alu + superstructure partielle en bois + boulons traversants. 

Vicki était skieur et il est possible qu’il ait eu la préscience de l’effet ressort du « tout alu » ; mais, plus prosaïquement, l’ajout de bois permettait la pose des fixations. Toujours est-il que ce bois a joué le rôle capital d'amortisseur en plus de celui de raidisseur.

La semelle était en Duralumin laminé (même épaisseur partout) et surtout, elle était creusée de "redans" (sorte de crans transversaux) destinés à diminuer le recul: en effet, l‘excellente « glisse » de l’alu dans certaines neiges, était gênante pour « marcher », même à plat.

Le raidisseur était fixé par des boulons vissés directement dans le bois au niveau du patin et par l’intermédiaire de brides à l’avant et à l’arrière ; il y avait donc une possibilité de coulissement qui permettait les variations du cambre.

On remarquera aussi que les bords de la semelle faisaient office de carres qui, à l’époque, n'étaient que très rarement posés (en dehors des skis de compétition).


Note : les lecteurs attentifs qui ont eu la curiosité de se pencher sur le brevet, auront sans doute remarqué 2 « « anomalies » dans le descriptif:

-La figure n°3 correspond à un autre type de ski que celui produit et qui est l’architecture du ski suisse Gebrac de 1929 (sertissage).

-Le §50 du texte fait allusion à un autre architecture du ski, dans lequel le raidisseur est une superstructure en alu en forme de T inversé, architecture qui est celle du ski Bailly de 1933!

Nous n’avons pas retrouvé les brevets de ces 2 skis : peut-être n’étaient-ils pas protégés et/ou Vicki n’en aurait pas eu connaissance ??? 

• L’ Intégral-Chauvière

La publicité ci-dessus en donne la description. À noter qu'elle ne met pas en avant le crantage de la semelle : tout au plus une allusion aux « crans » à côté des autres systèmes anti-reculs !

On est frappé aussi par le prix de 300F (probablement sans les fixations) alors que, à cette époque, c'était le prix des skis de luxe en hickory; et les skis ordinaires en frêne étaient à moitié prix ! Il est évident que la longévité des skis Vicki étaient très supérieure, mais ce prix a dû beaucoup en gêner la diffusion !


Le ski de la collection Richardin (1m85) a une semelle de 3,3mm d’épaisseur, un patin large de 70mm et un poids (nu) de 4,3kg/paire : on remarquera que l’alu n’apporte pas de gain de poids car il est du même ordre que celui de skis en hickory (le frêne est nettement plus léger) ! La fixation est une classique «Alpina-Bildstein» du début des années 30. Ce ski vient du petit-fils de F.Vicki.                                         (photos en fin d'article)

• Le modèle « Ballon d’Alsace »

Il a exactement les mêmes caractéristiques que le Chauvière sauf la gravure du nom et la fixation qui est une « DR », la 1ère fixation française de sécurité, apparue en 1935.

Le modèle présenté ci-dessous nous a été prêté par le Musée Dauphinois.

• Le Langlois

Il s’agit d’une variante du modèle précédent avec un allongement du raidisseur vers l’avant, mais une réduction vers l’arrière. Vu sa longueur, il était sûrement destiné aux compétitions de descente. La production à Saint-Chamond est certaine, attestée par le logo.


Le modèle de la collection Richardin (qui vient aussi du petit-fils de F.Vicki) est sans fixation: longueur 2m10, épaisseur de la semelle 3mm, patin de 70mm et poids de 4,4kg. Il porte, d'origine, une étiquette explicative.

On notera donc qu’il est un peu moins lourd que le Chauvière pourtant plus court mais qui ne pèse que 100g de moins (probablement du fait de la réduction de l’épaisseur de la semelle ?).

• Le modèle « mixte » (prototype Chauvière ?)

Ce modèle, tout à fait original et inconnu, nous a été prêté par le Musée Dauphinois. 

 Il n’y a pas de semelle alu complète, mais seulement en spatule et elle se prolonge jusqu’au patin par des extensions latérales formant un genre de carres. La partie arrière est restée totalement en bois.

L'aspect de la partie antérieure reproduit tout à fait celui d'une hélice d'avion pour laquelle le bord d'attaque était souvent renforcé par une doublure aluminium intégrée. (Il est donc logique de penser qu’il s’agit d’un prototype Chauvière qui doit dater d’avant 1936 si on en juge par la fixation identique à celle de l'Intégral). 

Si ce modèle avait été produit, on imagine la difficulté d'usinage et son coût, acceptable pour un avion, aurait été rédhibitoire pour un objet de loisirs !

Épilogue

Ces skis étaient donc manifestement en avance sur leur temps, et leur reconnaissance par Vought après la guerre, confirme le rôle qu'ils ont eu. De fait, tous les livres et documents historiques sérieux d'Europe et d'Amérique du Nord* citent tous Vicki, même si la plupart estropient nom et/ou prénom : on voit beaucoup de ''Vicky'' (au musée Dauphinois par exemple !) de "Joseph", mais aussi quelques "Vickey" et "Wicky" et même un “Wickey“ en Italie !


Cependant, leur commercialisation a été plutôt un échec: il y a eu, bien sûr, le prix qui en faisait un objet de luxe mais, probablement, la publicité n’a t'elle pas été suffisante ni à la hauteur : en effet, ces skis évitaient la casse, le fastidieux fartage habituel et, surtout, devaient être d’une facilité remarquable en neige profonde (souplesse ++ et finesse des flancs). 
Or (déjà à l’époque) c’étaient les résultats en compétition qui assuraient la notoriété d’un matériel, et ces skis, apparemment doués pour la descente, devaient par contre, avoir une très mauvaise tenue en neige dure (slalom). Ils auraient sûrement été plus adaptés à la randonnée "alpine", mais, à l’époque, ce créneau n’était pas du tout porteur et seuls les chasseurs alpins auraient pu en tirer parti; on retrouvera 
d'ailleurs, 20 ans + tard, le même problème avec les Aluflex (voir § 4 de l'Epopée du ski métallique).

Mais malgré leur échec commercial, on constate donc que les skis Vicki sont incontournables car ils sont un peu à la racine des deux grandes familles mondiales de skis métalliques qui vont suivre après la guerre.

C.Richardin
(*) Voir l'article du Canadian Ski Yearbook de 1939 en annexe.
 





Documents annexe

1)   Article du Canadian Ski Year Book 1939 (traduction)

« L'ALU-SKI* … se compose d'une surface de glissement en métal avec spatule, à laquelle est fixé un bois de ski sans spatule. La surface en métal donne la durabilité et le support en bois fournit la résilience requise d'un ski. … Les ALU-SKIS sont fabriqués en France sous le brevet de M. Chauvière°. »

[*] Ce nom ‘’Alu-ski’’ est-il inventé par l’auteur de l’article, ou y a-t’il eu projet d’exportation au Canada ??

[°] On remarquera la confusion entre fabriquant et auteur du brevet. 

2)  Photo d'un touareg posant avec des skis Vicki reconnaissables à leur crantage .

------- FIN -------

<= retour vers la suite de L'ÉPOPÉE DU SKI METALLIQUE ]                                     

Note de l’auteur:

Habitant Bussang et y ayant côtoyé Félix Vicki, je me trouve aux 1ères loges pour essayer de sortir ses skis de l’oubli.

Cette étude est le fruit de renseignements locaux, d’observations, de la compilation des revues spécialisées de l’époque et de quelques documents et exemplaires des skis donnés par Gérald Schmitt (son petit-fils) ;  les irremplaçables livres de Conchoy et de Bompart ont été aussi un bon point de départ ainsi que l'expertise de M.Wœhrle.

Mais malheureusement certaines données trouvées sont contradictoires et j’ai dû faire des choix en ne gardant que ce qui me semblait le plus logique ou qui avait été recoupé. Mais il manque des renseignements sur les productions dans les usines citées, en particulier sur le modèle « Ballon d’Alsace » qui, vu la fixation, a dû être produit après l’Intégral-Chauvière, c’est à dire à partir de 36 ; mais il porte une gravure « 14-1-35 » qui est la date du début de production chez Chauvière !! Est-ce que seul le Langlois venait de St Chamond ??

Je continue les recherches.            À suivre…… !

Voir l'article un peu plus détaillé sur le site Richardin =>

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