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LES BÂTONS

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Dans son livre de 1908, Henri Hoek écrivait: « Le bâton est un bon serviteur, mais un mauvais seigneur ». C’est en effet le 'parent pauvre' du ski car il n’a qu’un rôle accessoire : on peut s’en passer ou n’en utiliser qu’un seul et un simple bout de bois peut faire l’affaire etc…

Mais en fouillant un peu, on trouve quand même des choses intéressantes !

En mouvement :

À l’équilibration

-       Par appui latéral en progression, 

-       Par effet de balancier, par exemple lors de la technique de virage par “appel/rotation“ (années 30/50).

À la propulsion

-       Lors des montées et de la marche à plat, ou même en descente pour accélérer.

-       Lors du déclenchement du virage par le classique “planté de bâton“.

Au freinage

Usage courant lors débuts du ski et, encore actuellement, lors de descentes dans les compétitions de ski-alpinisme !

Deux modes de freinage…

-       par la position dite ‘du balais de sorcière’ pour la descente directe, droit dans la pente.

-       par la position dite ‘en ramasse’ pour freiner ou pour virer du côté utilisé.


À l’arrêt :

Les usages sont multiples : par exemple …

- relevage après une chute. =>

- tâter la neige (retourné) pour vérifier consistance et/ou profondeur.

- mesure de l’angle de pente.

- aide à la marche à pied.


- portage des skis. =>


- dossier avec les skis pour la “bronzette“ etc

D’autres + sérieux : exemples…

-  confection d’un traineau de secours.

- support de tir. 


On a vu des bâtons formant sonde à avalanche, ou pique pour la chasse, ou bouteille de “gnôle“ etc… sans parler des accessoires qui peuvent s’y adapter (pelle et/ou lame de piolet par exemple). =>


 

Zero :

La pratique actuelle du ski de descente sur piste peut se passer de bâtons : c’est d’ailleurs recommandé pour les premiers cours de skis des débutants.
Les sauteurs et les surfeurs (à la descente) n’en utilisent jamais. Les “télémarkeurs“ s’en passent facilement !

Un :

C’est la solution ancestrale qui permettait une aide, tout en tenant un outil ou une arme. L’aide à la propulsion était secondaire, celle au freinage et à l’équilibration étant les principales.
Malgré Zdarsky[1], l’usage du bâton unique avait pratiquement disparu au début des années 20. 
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[1] ) Voir § sur la “guerre des bâtons“ entre lui et Bilgeri.

Deux :

C’est l’usage habituel mais plus récent : il n’a commencé à se répandre qu’à partir du milieu du 19ème siècle.


C’est l’aide à l’équilibration qui est surtout recherchée à la descente ; l’aide à la propulsion n’est indispensable qu’en randonnée (nordique et alpine) ou en descente, pour l’accélération.

Un ET deux :

Au début du 20ème s. on a vu “fleurir“ des mono-bâtons qui pouvaient se scinder en deux, ou deux bâtons qui s’assemblaient pour n’en former qu’un. Ils ont disparu peu après le mono-bâton.

Le dilemme (1 ou 2 ?) était ainsi résolu : 2 pour la propulsion, 1 pour le freinage.

<= L’échangisme était une autre solution, mais moins pratique!

  

Deux demis ou deux tiers :

Bâtons démontables, télescopiques, pliants etc…      Exemples :

- 1er brevet trouvé : REUGE télescopique (CH165184) de 1932/34.

<= pliant 3 brins du 21ème s.             


4 parties : bâton, rondelle, pique et poignée.

Le bâton lui-même

Synonymes : canne, tube …

Matières

Bois : 

Frêne, bouleau, pour les anciens grands bâtons uniques.

Noisetier ou châtaigner pour les bâtons standards jusque dans les années 60.

Bambou :

Un peu moins solide mais nettement plus léger (et plus cher!). L’excroissance faite par la racine donnait un pommeau tout à fait naturel (et recherché !).           => 

Deux variétés principales :  poivrier et riz du Tonkin (roseau) qui était le plus réputé.

Renforcement par gainage et, parfois, avec refente[2].

En 1967, le bambou avait disparu des panoplies de ski de piste et en 1980, de celles de ski de fond.

Métal :

Arrivée tardive, d’abord de l’acier : Dickson (USA en 1933) et Tangwald (F-1934)[3] rapidement abandonnés pour le Duralumin (Norga en 1935) puis divers alliages d’alu ensuite : Zicral etc… ; ces alliages restent prédominants au 21èmes. 

Fibres (…de verre et/ou de carbone)

Elles sont maintenant souvent associées et destinées plutôt pour le haut de gamme tant nordique qu’alpin. La fdv arrive en France en 1974 (KERMA)[4] puis la fibre de carbone au milieu des années 80.

Formes

-Transversalement :  cylindrique, ovale, triangulaire.

-Longitudinalement : 

• Conique pour avoir un bâton équilibré avec le Ø maxi en haut.

• Courbe pour les compétitions de descente.        => 


Dimensions

Assez standardisées pour les diamètres (entre 14 et 18mm actuellement, ±20mm pour les gros bâtons uniques. 

Longueurs très variables suivant les périodes et les usages : depuis les grands bâtons uniques de 2m du 19ème s., jusqu’aux 1m10 actuels avec tous les intermédiaires possibles.

Des bâtons télescopiques ou repliables existent depuis les années 30. 

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[2] ) voir ci-après..

[3] ) Acier étiré conique (plus léger que l’alu). En inox après 1938.

[4] ) Anagramme de MARKER pour ces fabrications qui s’inspiraient des leurs !

Synonymes : disque, panier, raquette (F), Teller (D), Rondelle (I), basket (GB).

Empêche le bâton de s’enfoncer dans la neige.

Forme :

-       Pleines : rondelle ou palette genre rame (voir article ci-après).

-       Ajourées : dans un but d’allègement ; les plus courantes.

-       Triangulaires pour le ski de fond =>

-       Atypiques : ex sphère pour compétition (années 70)


Matière

-       <= Bois plein.             

-       Osier en anneau, lanières cuir en étoile (forme la plus courante jusque dans les années 50).

-       Alu en disque puis en anneau[5], lanières cuir ou caoutchouc en étoile.

-       Plastique depuis les années 70.

Dimensions:

Dépendent de l’usage prévu : actuellement, pour neiges damées, une petite surface d’appui suffit (ر4cm) ; les rondelles standard des années 20/30 allaient de 14 à 20cm de Ø. Les bâtons de ski de fond récents ont une plus petite surface.

Fixation:


<= ° Soit souple : brides cuir ou caoutchouc sur goupille traversante ou, plus tard sur anneau clipsé. Permet d’avoir une rondelle qui porte sur toute sa surface selon n’importe quelle angulation.     

° Soit rigide par sertissage direct.


La pique

Très diverses … de formes (droite, conique, inclinée, aplatie etc…). 
… de fixation (vissage, manchon à sertir).    Exemple (1928).     =>

 

Matières : seulement acier ou carbure (pour le haut de gamme).


La poignée

Absente pour les grands bâtons ancestraux. Ensuite simple dragonne.

Revêtement en cuir cousu pour les bâtons de luxe jusque dans les années 50, sinon en caoutchouc puis plastique, emboîtés.

Plastique injecté de formes de plus en plus sophistiquées depuis les années 70.

Dragonne : du simple lacet de cuir ancestral jusqu’aux sangles repose-main du ski nordique du 21ème s.

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[5] ) Petit tube de Duralumin, seulement à partir du milieu des années 30.


Les bâtons en 1908 :

Cette illustration est tirée du livre “Le Ski“ (Hoeck-Richardson) : elle résume bien ce qui se faisait au début du siècle, période où l’usage du bâton unique était encore bien répandu.

 


Légende :

(1)              bâton rondelle bois plein, dragonne

(2)              bâton droit sans rondelle, dragonne

(3)              bâton “Lilienfeld“ : grand et gros, bambou ferré

(4)              bâton dédoublable, sans rondelle, dragonne

(5)              bâton “suisse“ : bambou[6], grosse rondelle

(6)              idem : petite rondelle pour ‘course’

(7)              bâtons assemblables, rondelles caoutchouc.

(8)              idem, demi-ronds avec demi-rondelles bois

(9)              rondelle rotin et cuir classique

(10)    rondelle alu[7] - Heimhuber (Allgäu-D) 

 


 



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 [6] ) Noter la poignée obtenue par l’excroissance sur le bambou (racine) : caractérise les bâtons de luxe !

[7] ) Il semble ici s’agir d’une des toutes premières utilisations de l’alu dans le domaine du ski.


Un bâton spécial[8] :

Extérieurement, la qualification de “spécial“ ne se justifie pas : c’est, comme tant d’autres, du bambou à pommeau avec une grosse rondelle en osier ; mais il a de nombreuses ligatures étagées et, quand on regarde de près, on voit une fente qui court tout le long.

Il s’agit donc d’une refente et les ligatures sont destinées à renforcer le collage.

Nous avons là un rare exemple du procédé américain “split cane“ utilisé pour les cannes de pêche en bambou, procédé qui aurait donné l’idée à Aaland de faire des skis multicouches et de la traduction en “splitkein“ (voir article ‘Skis bois §3).


 

Des rondelles atypiques :

• rondelles en alu

Nous avons été frappés par l’existence de rondelles en aluminium en 1908 car, à cette époque, il commençait seulement à quitter son statut de métal précieux et n’était guère industrialisé.

De plus, comment expliquer que ce n’est qu’à la fin des années 30 que les cannes se sont mises aussi à l’alu.

Nous avons la chance d’avoir un bâton avec la rondelle ‘Heimhuber’ vue ci-dessus (n°10) : il s’agit d’alu massif, donc coulé au moule ; elle pèse 195g ce qui est énorme, car une rondelle en osier de même diamètre pèse moins de 100g. 

Et, de plus, le prix aussi est supérieur : par exemple (catalogue Gleize 1928) les rondelles seules (sans les cuirs) coûtaient 1,15F en osier et 7F en alu massif. 

 

On comprend donc mal l’intérêt de l’alu ici : sans doute la solidité ? D’ailleurs ce genre de rondelle est très rare.

Par contre, on a ici l’explication du retard à l’utilisation de l’alu pour les cannes des bâtons (et aussi pour les skis !) : il a fallu attendre l’invention du Duralumin dans les années 30 pour avoir des tôles ou des tubes car, jusque-là, l’alu n’était travaillé qu’en fonderie.


• Une rondelle d’acier

C’est le seul exemple que nous connaissons : elle est montée sur un bâton acier des années 30, mais toujours avec les fragiles lacets de cuir ! Ø 14cm + fil d’acier Ø2,5mm.

Le fil d’acier a permis cette forme particulièrement esthétique !

 

 

• Rondelles d’os

Dans « Reise um die Welt[9] », on peut lire : « … on utilise généralement un bâton à hauteur d'épaule ou d'homme, muni de plaquettes de neige (faites de treillis ou de plaques d'os) ».

<= Cette photo[10] est légendée : « ‘Plaquettes de neige’ sibériennes provenant du musée ethnologique de Vienne. Au milieu : Amur [=Amour]. Sur les côtés : Orotschonen [=Orotches] ».






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[8] ) Collection Richardin

[9] ) Adolf Erman - Berlin, 1833.

[10] ) Extraite de « Winter » C.J.Luther – 1937

 

Plusieurs documents montrent ou décrivent un bâton terminé par une sorte de pelle (ou rame ou grosse cuillère). Mais leur usage, peu documenté, reste assez mystérieux.

Six documents vont en retracer l’évolution et en expliquer l’usage:

 


 <= • Le 1er est la célèbre gravure rupestre du “Skieur de Rødøy“ ; parfois vue comme un rameur sur une pirogue!

• Le 2ème est le bâton qui accompagnait les skis préhistoriques “de Kalvsträsk“ : il mesure 1,56m et ressemble tout à fait à une rame. Il est interprété comme pour tout ‘mono-bâton’ standard :  freinage/virage.  =>

 

 


<= • Le 3ème est la gravure classique du “chasseur ostiak (Sibérie) datée du 18ème s. montrant un bâton-cuillère avec une rondelle à l’autre extrémité. Idem pour un autre bâton de la même région.

   M.Achard nous en livre l’interprétation donnée par Bruin en 1725 :     

    « …une houlette[11], avec laquelle ils jettent de la neige aux rennes…pour les faire aller [vers les] pièges. ».

-  À propos de ces mêmes ostiaks, on peut lire[12] aussi : « Certains peuples (Ostjaks, Lapons) ont parfois un bâton avec une pelle à neige à l'extrémité supérieure. Elle est utilisée pour pelleter les lieux de stockage et d'alimentation des animaux (Luther, Bilderbuch 65 f.)».


On y trouve en guise de conclusion : « Les deux caractéristiques - la fixation à quatre trous et le bâton pelle - sont déjà présents à l'âge de pierre dans le Kalvträskfunde … ce qui constitue un témoignage très important de l'époque et de l'unité des formes de pelle[13] »

• Le 4ème est trouvé dans le texte du livre de Paulcke[14] : « De courts bâtons doubles en bambou avec cuiller à neige, sont les plus recommandables. »

 

• Le 5ème se trouve dans un livre[15] de 1930 : « Il n’y a pas très longtemps, les skieurs scandinaves se servaient d’un seul bâton très long qu’ils maniaient comme une pagaie et les Lapons se servent encore de ces longs bâtons dont certains affectent à la partie inférieure, la forme d’une cuillère ».

 

• <= Le 6ème : montre une photo[16] de chasseurs sibériens (Altaï) prise après 1945 où deux sont équipés d’un “bâton-rame“.  


Conclusions :

Ce genre de bâtons qui…

• dataient de la préhistoire.

• étaient encore utilisés au milieu du 20ème s. 

• existaient aussi bien en Scandinavie qu’en Sibérie.

… n’avait pas, jusqu’alors, une utilisation bien documentée jusqu’à ce que Maurice Woehrle nous donne son interprétation : « À l’une des extrémités était fixée une rondelle, l’autre étant … en forme de pelle …. La pelle répondait à plusieurs besoins : obtenir un minimum d’efficacité au freinage malgré la légèreté de la neige, dégager la neige si nécessaire (…chemins, … pièges, recherche de lichens… et recueillir de l’eau dans le cas de pelle creuse. »

Nous avons là l’explication la plus plausible de toutes[17] ; peut-être y avait-il aussi une utilisation propulsive comme pagaie dans la poudreuse sans fond ?? 

Et, de plus, il paraît probable qu’il y ait eu plusieurs formes allant de la rame ± plate à la cuillère bien creuse, formes adaptées à un usage précis et différent suivant les peuplades et les périodes.

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[11] ) Petite bèche creuse sur les bâtons de berger de l’antiquité.

[12] ) "Grundriss der Weltgeschichte des Skifahrens", Prof. Dr. Erwin Mehl, Verlag Karl Hofmann, 1964 (traduction perso).

[13] ) FAUX : l’image de l’Ostiack montre plutôt une cuillère, alors que l’autre sibérienne montre une pelle!

[14] ) “Manuel de Ski“ Berger-Levrault - 1910

[15] ) “Le ski“- Mückenbrünn

[16] ) Tirée du livre de Maurice Woehrle  “Les Peuples du ski – 10000 ans d’histoire“

[17] ) En effet Maurice est allé en Sibérie pour étudier le matériel.

 

La page ‘Bâtons’ du catalogue Gleize de 1928.


On notera…

• Le prix des importations scandinaves, du disque alu et des poignées.

• Le terme ‘course’ : c’est ce qui s’appellera + tard, ‘ski de fond’.

• Qu’en 1928, on trouvait encore des bâtons dédoublables et des disques alu massif.

• L’ovalisation du bâton finlandais.

FIN

Remerciements à Maurice Woehrle et Michel Achard pour leurs aides.