La plupart des documents sur l’histoire des skis parlent de LA Sessely comme s’il n’y en avait qu’une, celle qui a ‘inventé’ le câble dans une fixation de ski.
Or en réalité, il y a eu toute une famille avec des liens de parenté plus ou moins étroits, famille assez complexe comme on voit maintenant dans la population avec les familles ‘décomposées-recomposées’.
Nous avons trouvé trois acteurs principaux, tous genévois : la société “Au Touriste“ + le Dr Léon Weber + Jules Sessely. Leurs rôles respectifs vont être vus en nous basant sur trois documents ‘clé’ : un catalogue de 1907 et les deux brevets Weber et Sessely.
L’histoire de ce ménage à trois est compliquée par la variabilité des appellations existantes et la mauvaise fiabilité de beaucoup de sources. Nous allons essayer d’éclaircir un peu tout ça.
Document de base
Il s’agit d’un catalogue suisse de 1907:
La 2ème page contient un texte qui éclaire le démarrage de l’histoire : nous en donnons la transcription exacte (avec les fautes d’orthographe !) :
Inventeur-Fabricant
- du serrage exentrique par levier (Dr Weber's-Patent)
- des buttoirs ajustables superposés (Sessely's-Steel-System)
- du système à traction égale par l'application du câble d'acier démontable sans outil, par tige-mobile
Seul concessionnaire pour la vente en gros et détail, des BREVETS 30024 et 38425 »
En résumé : dans ces 2 brevets nous voyons les 3 systèmes ‘clé’ :
1) levier Weber sur brides cuir (brevet 30024) => [LW]
2) étrier réglable par lame-ressort Steel-System (brevet 38425) => [ÉR]
3) câble sur levier-tendeur (brevet 38425) => [CÂ]
Ils vont se retrouver, associés ou isolés, dans des modèles d’appellations diverses et variables suivant les sources.
Nous utiliserons les abréviations ci-dessus pour les différencier et faciliter le classement.
Les brevets:
- Le brevet Léon Weber [LW]
CH 30024 enegistré le 9/3/1904 à Chêne-Bougeries près Genève.
C’est un système à levier frontal + excentrique qui tend/détend une bride latérale puis se bloque latéralement en jouant sur l’élasticité du levier.
Il va être rapidement concurencé par des systèmes à levier frontal aussi, mais jouant sur les 2 brides (par exemple la HOUM en 1906).
- Le brevet Sessely
Brevet Jules Sessely CH 38425 enregistré le 29/5/1907 à Genève.
• Le câble [CÂ]:
Il passe dans un ressort articulé avant qui fait office de levier-tendeur.
Le réglage de pointure se fait gâce à une boucle à ardillon sur la talonnière.
• Le système de réglage des étriers [ÉR]
Une lame de ressort porte un ‘téton’ qui va rentrer dans des trous à la base de chaque étrier.
Le brevet en porte 3, mais les systèmes que nous avons démontés en portaient 10.
Les fixations connues
Nous montrerons ce que nous avons trouvé ou vu, tant dans des collections que des documents écrits (livres, revues et pubicités).
Chaque groupe sera étudié ensuite plus en détail.
- La ‘Sessely Simplex’ [LW]
Légende associée : « Système à buttoirs fixes en tôle de Suède, avec serrage automatique de la courroie de talon (D Weber's-Patent). Cette attache de construction simple et solide se recommande particulièrement pour la forte chaussure de montagne ».
Fixation assez bon marché : de 8,50 à 10 F suivant la qualité des brides (une variante, sans le système Weber, était à 6,50 F).
- La ‘Balata Sessely’ [LW]
- La ‘Le Touriste’ [LW]
On retrouve la précédente mais ici, il s’agit d’une ‘fausse’ balata car la semelle est en courroie textile épaisse. On pourrait croire à une Ellefsen avec le levier Weber !Aucune référence trouvée autre que cet exemplaire.
- La ‘Weber-Sessely’ [LW] [ÉR]
C’est une Simplex mais avec, en plus, le système de règlage des étriers breveté. Elle était vendue de 12,50 à 15,50 F. Sur le catalogue elle est référencée “Huitfeld-Sessely“ avec cette présentation :
« Basée sur le principe de la Huitfeld, cette fixation comprend les perfectionnements suivants:
° Buttoirs ajustables-superposés, adaptables à toutes chaussures,
° Le levier de serrage est placé à l'avant du pied,
° La fixation peut être réglée ou détachée du ski en quelques secondes ».
Ce nom Huitfeld est donc absolument aberrant ! En effet, par définition, l’étrier Huitfeld est monobloc et passe dans la mortaise du ski : il serait donc impossible d’y adapter le système de réglage. Il est possible que ça soit pour ‘appâter’ le client car la Huitfled était la plus réputée à cette époque.
- Sessely Siberia ‘a’
Il s’agit d’une Huitfeld tout à fait standard, sans aucune particularité. Elle n’utilise aucun des systèmes brevetés.La pub met en avant son levier-tendeur latéral ‘automatique’ (le Høyer-Ellefsen norvégien).
- La Sessely Siberia ‘b’ [ÉR]
Elle est proche de la précédente mais avec le réglage d’étriers et sans le tendeur Weber : il est remplacé par un tendeur-levier latéral en “fil“, original et sûrement moins cher que le Høyer-Ellefsen habituel (on retrouve ce levier dans la fixation militaire Rivas).- La cable-system ‘a’ [CÂ] [ÉR]
C’est LA Sessely dont tout collectionneur rêve, la seule qui porte à la fois les 2 systèmes (câble et règlage de l’étrier). Elle était vendue 15 F.La talonnière était en cuir et pemettait un réglage de pointure par boucle standard à ardillon.
Une joue porte la gravure « Sessely Steel System » (abrévié ’SSS’).
- La cable-system ‘b’ [CÂ]
Identique à la précédente mais sans le ‘SSS’ de réglage de l’étrier. Il s’agit d’une évolution ans doute moins chère et sûrement plus fiable.
Elle date sans doute d’après 1910.
- Autres fixs du catalogue de 1907
Une ‘balata Jacober’, des ‘Huitfled’ importées de Norvège et une ‘Ellefsen’ classique.
Apparemment, elles n’ont donc rien à voir avec les Sessely et/ou les Weber.
Tableau récapitulatif :
Essai ‘chronologique’
Avec les documents dont nous diposons, il est difficile d’avoir une vue précise sur les rapports entre les différents intervenants et la chronologie des productions ; sans compter l’intervention de Richardson mais qui ne semble pas avoir donné son nom à un modèle particulier.
Nous avons seulement 3 points de repère incontestables : le catalogue ‘Le Touriste’ de 1907 et les dates d’enregistrement des brevets : 1904 pour le Weber et 1907 pour le Sessely. Les autres dates données sont, pour la plupart, des dates de publication de publicités ou d’ouvrages ; une datation approximative par déduction sera déduite.
- La boutique “Le Touriste-Sessely“
Créée avant 1904, elle paraît bien être à l’origine des fixations que nous étudions.
En 1907 on trouve ceci sur la catalogue : « D'ailleurs en comparant mes articles avec ceux d'autres maisons, chacun saura reconnaître les avantages que lui offre une marchandise achetée chez le fabricant-spécialiste. J. Sessely-Richardson - Technicien diplômé ».
Les archives de la bibliothèque de Genève montrent cette photo légendée : « Genève, rue de la Corraterie: magasin Sessely (articles de voyage) – avant 1911 »
- Les ‘Weber’
Nous avons donc 3 modèles avec le levier caractéristique : la ‘SIMPLEX’, la ‘WEBER-SESSELY’ et l’atypique vendue sous la marque ‘Le Touriste’.
• la ‘SESSELY SIMPLEX’ [LW]
La référence à Sessely est rare ; on voit plutôt seulement : « fixation Dr Léon Weber » (J.Hess par exemple).
Dans un livre de 1910 (Cdt Bernard) elle est affublée d’une légende qui ajoute à la confusion des appellations =>
Dans un catalogue de 1913, elle n’a pas de nom, mais seulement : « Fixation à Butoirs Simples avec serrage automatique des courroies - Système WEBER ». Elle était vendue 10,75 F (la Cable 15,50 F).
Tout cela montre bien le ‘mic-mac’ des appellations d’autant que certaines sont légendées simplement « fixation Weber » et qu’il semble exister des fixations d’un autre Weber (pas Léon). (recherches encore à faire).
*) Revue “La Montagne- CAS“ 1935.
• La ‘Le Touriste’ [LW]
C’est donc une variante du modèle ‘Sessely-Balata’, certainement moins chère : la marque ‘Le Touriste’ était sans doute réservée à des modèles ‘populaires’ ?
Elle date sûrement d’après 1907 : Staub en était le fabricant et la boutique de Genève la commercialisait sous son nom.
C’est le seul exemplaire que nous connaissons ; mais le catalogue du magasin vendait une ‘balata’ Jacober, une Ellefsen ‘balata’ ainsi que des ‘Huitfeldt’ importées de Norvége ; si cette fixation avait existé en 1907, elle aurait été dans le catalogue avec ces dernières.
• la ‘WEBER-SESSELY’ [LW] + [ÉR]
Elle date de 1906 ou 7 car dans le catalogue 1907, elle est présentée comme « nouveauté » mais affublée du nom ‘Huitfeld’ (voir § précédent).
Aucune référence hors celle-ci vue chez un collectionneur qui l’avait seulement légendée « fixation Weber ».
- Les Sessely à étriers réglables [ÉR]
Nous en connaissons donc 3 modèles : la ‘SESSELY-WEBER“ ci-dessus, la ‘SIBERIA B’ et la ‘CABLE A’. On trouve le logo ‘SSS’ sur les joues de l’étrier de la 1ère et de la 3ème , mais pas sur la 2ème !Nous remarquons que le brevet montre 3 trous pour le logement femelle de l’ergot de la lame ; or sur les modèles Weber-Sessely et Sibéria ‘B’, nous avons 2x10 trous.
- Les Sessely à câble
Nous en avons donc 2 modèles ‘A’ et ‘B’ qui, à 1ère vue, sont assez ressemblants.
• La Cable ‘A’: [CÀ] + [ÉR]
Elle porte donc les 2 systèmes du brevet (câble + étrier réglable) et on y retrouve le logo ‘SSS’ censé être celui de l’étrier réglable.Elle a été produite à partir de 1907 et la dernière trouvée était dans un catalogue de 1913 (15,50 F)
• La Cable ‘B’: [CÀ]
Elle n’a pas le réglage d’étrier ; mais, outre la faute d’orthographe (Sesseli), nous y voyons quand même l’inscription ‘SSS’ : cherchez l’erreur !
Elle a été produite certainement après la ‘A’. Nois n’avons aucune référence autre celle-ci.
- Les Sessely ‘Sibéria’
Deux modèles que nous avons légendés ‘a’ et ‘b’ : ces suffixes ne sont pas officiels, mais utilisés pour les différencier alors qu’elles semblent avoir été commercialisées à la même époque.
Elles ne sont pas dans le catalogue mais vues seulement sur des pubs de 1904 pour la ‘a’ et de 1910 pour la ‘b’.
• La Sibéria ‘A’ :
Cette fois, nous avons vraiment une Huitfeldt apparemment tout à fait ‘standard’. Elle est n’a été vue que sur la pub de 1910 (§ précédent).
En 1907, ‘Le Touriste’ importait ses Huitfeld de Norvége : donc on peut penser qu’en 1910, elle avait ‘passé la main’ à Sessely et/ou que le brevet Huitfeld était échu ?
• La Sibéria ‘B’ [ÉR]
Vue aussi sur une pub de 1910 et chez des collectionneurs !Comme d’autres, cette ‘b’ a perdu sa lame-ressort !
Elle a donc le réglage d’étriers breveté, mais n’en a pas le logo SSS : à la place on trouve un logo « A SPOR » ! Encore un mystère !
Pour terminer…
Bien que suisses, ces fixations ne semblent ne pas avoir survécu à la guerre de 14, car nous n’avons aucune référence après.
Cet essai d’éclaircissement de l’histoire laisse donc encore pas mal de ‘blancs’, d’interrogations et de contradictions.
Nous avons donc encore pas mal d’incertitudes sur le ‘qui a fait quoi’ et aussi sur le ‘quand’ ; d’ailleurs, j’avais déjà publié un article sur le même sujet, article rapidement retiré quand j’ai eu des documents qui venaient trop bousculer tout ce que j’avais écrit !
Sans doute me faudra-t’il refaire une 2ème mise à jour si de nouveaux éléments viennent encore combler les ‘blancs’ et/ou modifier mes déductions !
C.Richardin