Et que toutes les anciennes gloires françaises (Oreiller, Allais etc…) puis tous les compétiteurs et bons skieurs de l’après-guerre les ont utilisées et en ont beaucoup parlé (en bien ou en mal !).
Il faut bien avoir en tête que ces ‘longues lanières’ ont eu en réalité 2 finalités différentes au cours des âges : fixation de base, nordique donc, jusqu’au début du 20ème siècle, puis simple accessoire pour la piste après les années 30 ; leur histoire suivra ce découpage en 2 périodes: la nordique (ancienne) et l’alpine (plus récente) couvrant ainsi les 3 catégories de fixations traitées dans les articles précédents (§1, §2 et §3).
Nous remarquerons que le terme ‘longue lanière’ n’est guère utilisé que depuis le début du 20ème siècle, mais nous l’emploierons pour toutes les fixations utilisant un bridage assez long pour faire le tour de la tige de la chaussure.
1 - La période ancienne (nordique)
La caractéristique de TOUTES les fixations de l’époque était d’avoir un talon toujours libre car la pratique du ski était exclusivement « nordique » ce que nous pourrions assimiler maintenant grossièrement à du ski de « fond ».
Le bridage talonnier était uniquement destiné à empêcher la chaussure de sortir par l’arrière. Et la seule façon d’avoir une fiabilité correcte, était de trouer le ski pour faire passer la ou les lanières dont la longueur devait être suffisante pour faire le tour de la chaussure et le nœud.
a) La période du « tout cuir »
• les vis n’étaient soit, pas encore « inventées » soit pas assez fiables (mauvaise tenue dans les bois humides).• la bouclerie métallique n’existait pas ou était trop compliquée à manipuler (boucles à ardillon).
C’est grâce au livre de Maurice Woehrle que nous allons essayer de remontrer à l’origine préhistorique de ces fixations.
- Les « 4 trous »
Le véritable ancêtre de ces fixations, semble bien être ce système à 4 trous retrouvé aussi bien dans le ski fossile de Kalvträsk (± 3.000 avant JC), que dans des skis sibériens + récents (18 et 19ème siècle).
Tous ces peuples ne disposaient en effet que de perçoirs (silex puis fer) pour trouer le ski sous le pied, aux 4 coins d’un rectangle afin d’y faire passer une lanière. Dans la semelle, une gorge longitudinale reliait les trous 2 par 2 protégeant ainsi (un peu) les lanières du frottement sur la neige.
À noter que des "sibériens" utilisaient, encore au 18ème siècle, une lanière continue qu'ils chaussent par l'arrière et à l'envers; le retournement du pied enroule la lanière autour de la cheville et il faut ensuite enfiler le bout du pied dans la bride antérieure (dessin de C.J. Luther dans "Winter" 1938).
Note de l’auteur : Pour montrer le système standard, et plutôt que de faire un (mauvais) dessin, j’ai fabriqué une fixation sur une planchette : avec perceuse, maillet et ciseau à bois, ça m’a demandé ½ h ; donc, même avec les outils d’époque, un primitif (très patient sûrement) pouvait évidemment le faire aussi.Ma lanière en cuir est de 2m et elle tient par un nœud classique. Le poids de la fixation ainsi recrée est de 40g (pour faire rêver les compétiteurs actuels !). Mais mieux vaut ne pas parler du guidage du ski qui aurait été obtenu ! (PS: la chaussure actuelle bien sûr).
- Les « mono trou » (mortaise)
Les fixations retrouvées sont déjà plus perfectionnées car les skis sont percés dans la tranche, formant tunnel où passent les lanières : la tenue latérale était ainsi améliorée et ça évitait le frottement des brides sous le ski.
• Le ski fossile de Digervorden
Norvège, trouvé en 2014 et daté du 7ème siècle après JC.C’est un des très rares skis fossiles dont les lanières sont encore visibles : elles sont de 2 types…• une antérieure courte pour les orteils (en racine de bouleau, cassée peu visible sur la photo).
• une longue, en cuir, pour le talon (longueur estimée à 1m70).
• L’attache Lule Lap (lapons du sud)
Elle daterait du moyen âge et préfigure bien les systèmes ultérieurs (voir § suivant).La bride d’orteils est en cuir et la lanière de talon est estimée à 1,5m ; un seul de ses brins passe dans la mortaise, l’autre passe autour de la bride.Ce genre de fixation équipait l’armée norvégienne vers 1700.
• La fixation des Sudètes (Heimatmuseum Rohrbach)
Traduction de la notice jointe : « Fixation à courroie de cuir simple, région des Sudètes - d’environ 1886 constituée … d’une lanière à travers la mortaise creusée dans le hêtre ».
b) La période des étriers métalliques
Ils sont apparus à la fin du 19ème siècle et les premiers étaient monobloc, soit vissés, soit enfilés dans la mortaise du ski : c’est ce 2ème système (le plus répandu) qui a été breveté par le norvégien Fritz Huitfeldt à partir de 1894.
Elles mesuraient plus de 2m car elles devaient faire un savant trajet en « 8 » autour de la chaussure et se terminaient (au moins les premiers temps) simplement par un nœud.
Modes d’utilisation:
• Classique : voir cet extrait du catalogue Rossignol de 1909 (quelques mots étaient illisibles). On entrevoit la complexité du processus ; et le système de l’illustration précédente semble pire !
• Amélioration par boucle à levier : la boucle Ellefsen, apparue au début du siècle, devait sûrement faciliter la mise en tension.
• Système modernisé » : l’illustration ci-dessus montre un système plus récent (années 10 ?) car le nœud est remplacé par une boucle classique à ardillon et il y a un anneau latéral. La mise en place paraît nettement simplifiée.
2 - La période « moderne » (alpine)
Ce modernisme est celui du changement de leur finalité : elles se destinent dorénavant à seulement empêcher la levée du talon ; accessoirement elles luttent (un peu !) contre l’avachissement habituel des tiges des chaussures de l’époque.
a) Le contexte
- Fin des années 20 : apparition de nouvelles méthodes de virage nécessitant un guidage du ski plus efficace : c’est obtenu par des fixations à talon (plus ou moins) fixable.- Fin des années 30, le virage à skis parallèles nécessitait, lui, d’avoir le talon encore mieux fixé.
b) Les longues lanières d’avant-guerre
L’étrier est dorénavant standard (vissé), et on voit deux nouveautés sur cette illustration de 1936 :
- La principale : la mortaise est réduite pour ne contenir que la lanière et son implantation est nettement reculée pour donner une tension en diagonale.- La secondaire : la présence d’une boucle à pince qui facilite grandement le serrage.
c) Les longues lanières de l’après-guerre
La mortaise disparaît peu à peu des catalogues au bénéfice d’anneaux vissés sur les chants du ski*.
(*) Les longues lanières semblent n’avoir jamais été utilisées sur les Aluflex (et leurs dérivés) qui n’avaient pas de chants utilisables (ni de mortaise possible !).
Par ce terme, nous entendons les systèmes qui permettent avec des longues lanières, d’obtenir quand même, une position de montée.
Tous datent des années 40/50, époque où les remontées ‘à pied’ étaient encore très souvent obligatoires.
• ATTENHOFER Colombus (années 40 ?)
Lanière cuir avec crochet latéral à enlever pour la montée : on se retrouvait avec une fixation Kandahar classique. Existait aussi en caoutchouc pour limiter seulement la levée du talon.
• HIL-UP (1947)
Brevet Morel. Ce système préfigurait les fixations de randonnée à cadre des années 70/80.Le cadre se verrouillait à l’arrière et serait automatique d’après la notice.• ROBINO Longue lanière amovible (1947)
Pour monter, il fallait donc sortir le câble du guide latéral.« Combinaison des principes du câble et de la longue lanière. »Ce système n’apportait sans doute pas grand-chose de plus que la fixation sur laquelle on l’adaptait et faisait même disparaître la sécurité chute AV apporté par un simple talon Bildstein !• RAMY GIR (1949)
Transcription de la présentation commerciale :« Dispositif GIR permettant la montée avec longue lanière.Les taquets comportent un levier formant crochet à sa partie inférieure et maintenu en position d’accrochage par un ressort. Ce crochet vient en contact avec l’arrière d’un protecteur métallique vissé sur la trépointe de la chaussure et empêche celle-ci de sortir de l’étrier. Pour engager ou dégager le pied, il suffit d’appuyer sur les leviers. »Il semble donc que ce système devait permettre d’enlever les lanières tout en maintenant la chaussure dans l’étrier (comme avec un insert) : mais il fallait bien sûr que la chaussure ait une semelle souple.
• DELUCCI (années 40 ?)
Transcription de la présentation commerciale :« Fixation longue lanière avec crochets Delucci.Position de montée : la longue lanière étant munie de 2 anneaux, passer la lanière de celui de l’extérieur. Faire dépasser les anneaux de 7 à 10 cm de chaque côté de la mortaise. Passer les anneaux dans les crochets. Passer la lanière sur la chaussure comme pour la descente sans faire le tour de la cheville.Pour la position de descente : décrocher les anneaux et enlever les crochets »
Mais elles ont beaucoup fait parler d’elles à l’époque, ne serait-ce que par l’épidémie de fractures qu’elles ont entraîné !
C.Richardin