L’article qui suit parle de l’Histoire DU ski ; or le domaine de l’association est plutôt celui de l’histoire DES skis (du matériel donc); alors pourquoi dérogeons-nous ainsi à notre ligne?
Parce que ce document, outre quelques renseignements sur le matériel, remet les pendules à l’heure concernant ce qui pourrait s’appeler la « préhistoire du ski » car, pour la majorité des français concernés, cette histoire semble ne se cantonner qu’à Nansen, Duhamel, Briançon etc….!
Il est l’œuvre d’un historien, un vrai, qui s’appelle Michel Achard, et il constitue l’introduction d’un ouvrage extrêmement documenté qui s’intitule:
"Le Ski : Bibliographie et iconographie : les sources de l'histoire du ski du 16e siècle à 1918".
L'article qui suit a été traduit en anglais par l'auteur car la traduction automatique Google est "dépassée" ! Vous pourrez l'obtenir en nous la demandant par le formulaire de contact du blog.
L’histoire du ski, comme celle des sports en général, a longtemps été méprisée par les chercheurs. Ils ont ainsi laissé s’installer des histoires, basées sur des sources lacunaires, religieusement recopiées sans vérifications. Il est vrai qu’avant la numérisation des fonds des bibliothèques, l’accès à nombre de documents était impossible.
Aujourd’hui, le « copié-collé » du Net diffuse des informations et des datations sans rapport avec la réalité.
Le présent article a pour but de cibler et de rectifier quelques cas typiques. Il reste sélectif et cherche plus à proposer des pistes qu’à imposer des conclusions. Je rêve surtout de susciter un renouvellement sérieux de la littérature sur le sujet.
Pour ne pas alourdir le texte, je renvoie à la bibliographie citée à la fin pour les références et justificatifs.
A l’intention des puristes : j’écris 18e siècle, parce que c’est plus lisible que XVIIIe et que je vis au 21e siècle, pas sous le règne d’Auguste ; j’écris « en skis », acceptable autant que « à skis » selon Albert Dauzat ou Jean Girodet.
L’apparition du mot Ski en France
Toute personne se posant la question trouve rapidement une réponse, dans des livres et des périodiques anciens, et aujourd’hui sur de multiples sites numériques. Je résume les différentes versions : le mot « ski » apparaît en France sous la forme « skie » dans Le Magasin pittoresque de 1841. D’abord féminin, il devient masculin, et perd son e final en 1891.
Il n’y a d’abord aucun article avec ce mot dans cette revue en 1841. On en trouve bien un en 1842, mais une faute de frappe faite en 1939 par Sylvia Gredig l’a rajeuni d’un an, ce que beaucoup négligent de vérifier.
De toute façon, on peut lire en français bien avant 1841 des dizaines de documents avec le mot « ski » ou ses dérivés. Citons le pluriel « skier » dès 1678, « skien » en 1755, divers « skid… » en 1678, 1727, etc. Ajoutons les nombreuses allusions aux militaires norvégiens « skielœbere » (plus de vingt avant 1830, avec des orthographes variées ou fantaisistes).
On trouve parfois la forme « skie » à l’étranger, comme chez Francesco Negri en 1700 (« Skie : istromento per caminar sopra la neve »), ou dans le catalogue en français de la vente Danneskiold publié à Copenhague en 1732 (« Skie de Norvegue »). En France, on peut le lire dans un article diffusé en diverses versions tout au long du 19e siècle sur le « régiment des patineurs norvégiens ». Le plus ancien dont je dispose (mais est-ce le premier ?) figure dans trois périodiques différents en 1797. L’abbé Grégoire le réutilise en 1798, et l’Almanac [sic] de Gotha en 1799. Suivent de nombreuses rééditions, dont une dans le Journal de l’Empire en octobre 1810, et plusieurs en 1836.
Sur tout le 19e siècle, je n’ai que de rares emplois du féminin (certains en 1836, 1851, 1874). Tous les autres « skies » sont soit nettement masculins, soit de genre indéfinissable en l’absence d’article ou d’adjectif.
Enfin, si de nombreux auteurs écrivent déjà « ski » bien avant 1891 (attesté à partir de 1853), d’autres conservent le efinal au moins jusqu’en 1907.
Sur les quatre siècles étudiés, le ski est désigné en France par de nombreux noms, sans que se dégage une évolution. Si certains, comme « ais, semelles, barres, schlittes, planchettes, soulier ou chaussure à neige » se perdent assez vite, le « patin à neige » ou « de neige » est en permanence le plus utilisé, même quand le « skie » est connu. Notons la mode bizarre de « sky(e), skyeur, etc. » autour de 1900. En 1895, le peintre Claude Monet voyage en Norvège, où il assiste à une course à Holmenkollen. Trompé par la prononciation scandinave, il écrit à son épouse qu’il a enfin vu les « fameux chis ».
Le skieur ( ?) de Rødøy
Ce pétroglyphe norvégien, daté d’environ 4.000 AP, connaît un grand succès depuis sa découverte en 1933. Il est censé représenter un skieur préhistorique descendant une pente un bâton à la main. Dans la réalité, il est figuré sur un terrain plat, avec, plus loin, un compagnon en position accroupie. Pourquoi nous pose-t’il problème ?
Le ski existe de longue date dans des pays où il se révèle indispensable pour se déplacer sur des étendues longtemps couvertes de neige. Il permet surtout de chasser, et donc de survivre là où agriculture, pêche et élevage sont aléatoires en raison du climat.
Or, notre bonhomme a été gravé à Rødøy, île près de la côte du Nordland, peu étendue, et peu enneigée, baignée dans la tiédeur de la dérive nord-atlantique. Y circuler n’était donc pas un problème. S’y nourrir non plus, la mer jamais gelée permettant la pêche et l’accès aux fermes des fjords proches. Avec divers autres arguments, certains chercheurs norvégiens pensent que notre homme était plutôt un marin maniant une rame.
Bien entendu, rien ne permet de privilégier l’une ou l’autre de ces interprétations
Quelques rectifications
En 1549, Sigismond von Herberstein publie la première édition de ses voyages en « Moscovie ». On lui attribue très souvent un beau plan cavalier de Moscou, avec des skieurs dans l’angle droit. Or, cette image n’apparaît qu’en 1575, dans le Civitates orbis terrarum de Georg Braun, qui y réunit deux gravures d’Herberstein : les skieurs de 1549 modifiés, reportés sur un plan de Moscou sans neige ajouté par Herberstein dans son édition de 1556.
D’autres ont cru voir une description de skis dans la Gerusalemme liberata (Jérusalem délivrée) de Torquato Tasso, dit Le Tasse (1e éd. en 1581). Dans la strophe 34 du chant 14, il parle de « lunghi strisci », soit de « longs glissements ». Mais le texte complet concerne des paysannes glissant sur le Rhin gelé. Si la pratique du patin à glace est connue de longue date dans ces régions, une utilisation de skis en pays rhénans (jamais attestée), n’aurait pas attendu un poète italien du 16e siècle pour être signalée.
En 1811, paraît la première édition du conte Undine (Ondine) de Friedrich de La Motte-Fouqué. La présence d’un chevalier norvégien descendant une pente en skis est notée dans de nombreuses histoires. Mais une lecture attentive du livre n’en révèle pas la moindre trace. On trouve par contre assez vite des éditions où on a relié à la suite un autre texte du même auteur, sans rapport avec le précédent, Sintram und seine Gefährten. Et là, on peut enfin suivre le chevalier, utilisant des « Schneeschuhe, welche wir Skier nennen ».
Les histoires du ski mettent en avant les innovations techniques apportées au 19e siècle par le Norvégien Sondre Norheim (planches en « taille de guêpe » et attaches du talon). Divers chercheurs (Christensen, Berg, etc.), se basant sur des documents antérieurs, remettent en cause ces certitudes. Je tiens à la disposition des personnes intéressées des traductions sommaires de leurs thèses.
Henry Duhamel
En 1908, Henry Duhamel rédige une préface pour Le Ski de Hoek et Richardson. Il rapporte que trente ans auparavant, il a découvert au pavillon suédois de l’Exposition universelle de Paris une paire de skis, objets dont il ignorait l’existence, et même le nom. Rapportant ce matériel à Grenoble, il fait un essai sans suite à Chamrousse, attendant 1889 pour obtenir les renseignements permettant de les utiliser.
Ce texte succinct a suscité des exégèses nombreuses, faisant de Duhamel celui qui a introduit le ski en France. Cette affirmation est devenue définitive et incontestable. Elle pose pourtant de nombreuses questions.
Comment un lettré comme lui pouvait-il ignorer l’existence du ski ? A sa mort, le catalogue de sa bibliothèque remplit deux volumes.
Il a vu au pavillon suédois ( ?) une paire de patins. On trouve bien un marchand de Christiania (Oslo), M. Falck-Ytter, exposant des « ski [au singulier] (longues et minces pièces de bois qu’on attache aux pieds pour glisser sur la neige) ». Mais comment Duhamel a-t’il pu manquer les mannequins grandeur nature du pavillon (reproduits dans plusieurs revues) figurant un camp lapon, avec un personnage descendant en skis ? Et au Jardin d’acclimatation (voir La Nature), de pauvres Lapons transpirent sous leurs fourrures, exhibés skis aux pieds dans un « zoo humain ».
Enfin, dans quelle région de France, excepté le Dauphiné, a-t’on commencé à skier, dans la dernière décennie du 19esiècle, parce qu’on avait entendu parler des expériences de Duhamel ? On dispose aujourd’hui de nombreuses histoires locales : aucune n’en fait mention.
La connaissance du ski en France
Comme nous l’avons déjà noté, la difficulté d’accéder aux sources a pendant longtemps obligé les historiens, de bonne foi, à affirmer qu’avant sa prétendue découverte, le ski était pratiquement inconnu chez nous.
Nous disposons aujourd’hui de centaines de documents prouvant le contraire, dès le 16e siècle. A partir du milieu du 18e siècle, il en existe plusieurs chaque année.
Une minorité émane de voyageurs ayant observé l’objet, certains l’ayant même essayé. Les nombreuses copies varient d’une reproduction exacte à des interprétations fantaisistes. Mais même une connaissance inexacte reste une connaissance.
On doit remarquer deux faits. On retrouve souvent les mêmes termes, parfois des phrases entières, chez divers auteurs, et cela sur une longue période. Il est évident qu’ils se copient, ou qu’ils puisent à la même source. La plupart du temps, ils ne révèlent pas une nouveauté, certains parlant de « description déjà connue » (1827) ou précisant « ce sont, comme l’on sait » (1862).
Enfin, ces informations se rencontrent dans des publications très variées. L’essentiel est raconté dans les récits de voyages. Les dictionnaires et encyclopédies (Moreri, Furetière, Diderot, etc.) leur consacrent au moins un paragraphe dans les rubriques « Patin » ou « Lapon(ie) » (et parfois « Skie » comme en 1851 et 1874). Le reste se trouve dans des périodiques généralistes, régionaux, féminins, enfantins, religieux, scientifiques, etc. J’ai du ouvrir une catégorie « improbables » après avoir lu des descriptions par exemple dans un Dictionnaire de commerce (1765) ou des Menus propos sur Alger (1864).
En plus d’une connaissance livresque, nombre de Français ont pu voir de vrais skis, nommés « patins lapons », ponctuellement au musée de Douai (1807), au Bazar du voyage à Paris (1856) ou en décoration à l’Hôtel Drouot (1887). Mais les « patins norwégiens » (militaires), envoyés par le consul de France à Christiania au musée d’artillerie, alors à Paris, figurent dans les nombreux catalogues des collections de cet établissement de 1839 à 1889 (il n’en subsiste aujourd’hui que le bordereau d’envoi). Au retour de l’expédition de La Recherche en Scandinavie, Xavier Marmier offre une paire de « patins lapons » au musée de Besançon en 1839. Il y sont encore en 1860 (aujourd’hui introuvables).
Enfin, nous allons faire une longue halte en 1867, année typique (mais pas isolée) du nombre d’informations sur notre sujet.
On réédite la Séraphita de Balzac, avec la gravure de skieuses par Gustave Staal créée pour l’édition de 1852 (et pas comme on le lit parfois pour celles de 1834-35 quand Staal n’avait que 17 ans) . Le même artiste, décidément intéressé par ce thème, donne deux images pour les Contes de tous pays, d’Emile Chasles. Edouard Riou en grave quatre pour les Voyages et aventures du capitaine Hatteras de Jules Verne (Hetzel).
Une grande partie de l’année, l’Exposition universelle anime Paris. Au pavillon norvégien, on peut voir des mannequins en costumes locaux (comme plus tard en 1878). L’un d’eux est un Lapon retour de la chasse en skis. Il sera souvent reproduit dans des revues ou des livres jusqu’aux années 1880. Le public y admire aussi des tableaux de Karl den 15., roi de Suède et de Norvège et peintre amateur. Sur l’un d’eux, un skieur sort d’une forêt enneigée. Ces toiles seront offertes à Napoléon. Confisquées en 1871, restituées à l’impératrice en 1881, elles ont depuis disparu.
Et 1867 nous laisse une énigme non résolue. Le 21 janvier, Le Figaro annonce une des nombreuses fêtes organisées par le Club des patineurs sur le lac parfois gelé du bois de Boulogne. Il précise : « ...Nous y assisterons aussi à l’emploi des skies , immenses patins de bois, longs de deux mètres… ». Malgré de nombreuses recherches, je n’ai trouvé aucun compte rendu de cet évènement, d’ailleurs contrarié par la pluie. Mais l’année suivante, dans Les grandes dames, Arsène Houssaye revient sur ces manifestations. Il y a remarqué « …le long patin des Samoyèdes, le patin court…des Hollandais, et jusqu’à la longue planche des montagnards de l’Islande… ».
La question
C’est celle qui vient à l’esprit quand on a compilé autant de documents sur le sujet, publiés sur une aussi longue période : pourquoi le ski n’a-t’il pas été pratiqué plus tôt dans l’arc alpin et les montagnes voisine?
Le ski utilitaire. On ne connaît que deux exemples, très localisés, aux 18e-19e siècles, l’un dans le duché de Krain (dans l’actuelle Slovénie), l’autre aux confins de la Silésie et de la Moravie. On doit considérer qu’à la différence des pays nordiques, l’hiver « alpin » est moins long, plus irrégulier, et, sauf certaines années, moins rude dans les archives que dans les souvenirs. Il laisse pendant de longs mois le temps de pratiquer agriculture, cueillette et élevage, fournissant des provisions pour passer la mauvaise saison, où on évite de se déplacer. La survie des populations n’est donc pas subordonnée à l’invention et à la pratique du ski. Ajoutons l’enneigement irrégulier des massifs de faible altitude, et le terrain alpin trop accidenté pour le matériel ancien peu performant. Des historiens norvégiens (Karin Berg par ex.) remarquent le peu de traditions ski dans certaines régions, en contraste avec les « fjell » ou « vidda » aux reliefs moins raides. Remarquons aussi le cas des militaires, bien informés depuis longtemps des pratiques de leurs homologues norvégiens, et attendant 1892 en Allemagne et 1902 en France pour les imiter officiellement.
Le ski sportif. On peut supposer que de tous temps, de jeunes nordiques ont joué à qui descendrait le plus vite en skis autour du village. Mais, de même que la « soule » ancienne n’était pas du football, le ski sportif attendra pour naître l’émergence du sport au sens moderne (pratique régulière, règles universelles, organisation et médiatisation). Cela n’intervient vraiment qu’au cours du 19e siècle. Même en Norvège, à part la célèbre course très locale de Tromsø en 1843, les compétitions sérieuses attendent les années 1860-70 pour se multiplier. Dans nos régions, le ski se répand justement dans ces milieux sportifs nouveaux, principalement entre 1880 et 1910. Il est initié surtout par ceux qui, pratiquant des activités de nature, se voient arrêtés par l’hiver. C’est le cas de l’alpiniste Duhamel, et de nombreux cyclistes (autour de Paul de Vivie dans la région stéphanoise, dans le Jura, ou à Samoëns, où le premier club porte le nom de « Véloskimontane »). Et c’est alors qu’on voit nettement le ski, dans les périodiques, quitter les rubriques occasionnelles voyages ou curiosités, pour la chronique sportive régulière.
M.Achard
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